AIDER, SAUVER DES VIES

Sauver les vies 


Marie José Chombart de Loewe : 

Je découvre qu’un groupe de jeunes filles servait de sujets d’expérimentations médicales, comme des lapins de laboratoire. Elles avaient un tabouret, car leurs chevilles étaient tellement abimées par les expériences qu’elles ne pouvaient pas tenir debout. On les a sauvées.

On a appris qu’un ordre était arrivé de
Berlin pour exécuter des filles de la baraque.

On a fait croire qu’elles étaient mortes en mettant une croix. On a remplacé les corps par d’autres. 

Mais ces filles n’étaient pas tatouées, donc on
a demandé à une déporté de leur faire un faux tatouage.


Elle évoque les naissances à Ravensbrück : 


J’étais une des jeunes filles affectées dans ce
service des naissances. 

On s’est occupé des enfants dans une petite pièce en sous-sol. 

Il fallait leur trouver de quoi se vêtir, trouver du linge, fabriquer des tétines. 

On n’avait qu’une boite de lait en poudre et 2 biberons. 

Une infirmière a attendu qu’un médecin chef soit sorti, elle a volé sa paire de gants en caoutchouc et on en a fait des tétines. 


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Un autre exemple d'enfant sauvé : 



Jean Claude Passerat : 

Sa mère avait un peu de lait, mais elle n’a plus pu l’allaiter assez rapidement. Ce sont une femme russe et une tzigane qui l’ont allaité. 

Voici un article paru dans l'édition du 16 mai 2010 du journal "LA MONTAGNE"


Journal OUEST FRANCE, 
mardi 24 décembre 2008

"Ravensbrück, drôle de crêche pour venir au monde"
Il est l'enfant du hasard. 
Le petit d'une clandestine et d'un fantassin de l'armée des ombres. 
Sa mère, Hélène Palmbach, a été arrêtée en mars 1944. Fille de mineurs polonais, naturalisée française, elle est agent de liaison dans la Résistance : « Elle a fait un paquet de kilomètres à bicyclette pour passer des messages. » 
Au maquis dirigé par un communiste hors pair, elle tombe amoureuse d'un certain « Toni ». Elle est dénoncée. 
Quand la Gestapo la fait monter dans le train plombé, Hélène, mâchoire fracassée par les brutes, ne sait pas qu'elle est enceinte. 
Est-ce un drame supplémentaire dans tout ce malheur ? 
Jean-Claude ne le pense pas : « Elle m'a souvent dit : 'Tu sais, si tu n'avais pas été là, je crois bien que je me serais laissée aller'. »

Car ce bébé est beau. 
Il pèse 3,5 kg à la naissance. 
Tout s'est bien passé grâce à une sage-femme polonaise qui a rassuré la jeune mère dans sa langue maternelle

Jean-Claude a échappé à la mort subite de l'ordre brun qui a desserré son étreinte. 
Pas au froid et à la faim qui déciment les nouveaux nés de Ravensbrück. 
Le plus dur commence : l'hiver du Mecklembourg est un tueur en série. Il n'y a pas de lait, pas de couches, pas de chaleur pour les enfants dénudés du pire.

Mais, il y a des fées. Toutes ces femmes punies de tout se penchent sur le petit. Geneviève de Gaulle, Germaine Tillon le bercent. L'admirable Marie Jo Chombart de Lauwe bricole des tétines avec une vieille paire de gants en caoutchouc. Il n'y a que deux biberons pour cinquante nourrissons. 

« Ma mère n'avait plus de lait. Une Roumaine tzigane et une femme russe m'ont donné le sein. Elles avaient perdu leur enfant. J'ai du sang international dans les veines. » 

Que de marraines pour ce petit prince : « Je pense que les femmes déportées ont été exemplaires de solidarité. Bien davantage que les hommes, plus déchirés par la politique. Les femmes, elles, dépassent tout. »

À la scierie hors du camp où Hélène a été expédiée avec son garçon, les prisonniers de guerre rognent sur leur maigre ration pour lui donner la becquée. 

Il neige. Jean-Claude est vêtu d'une brassière et d'un châle. 
On trait secrètement une chèvre pour lui. On remplit ses biberons d'infortune d'eau de cuisson des pâtes soutirée aux gardiens, mais rien n'y fait : le garçon maigrit : « J'étais tout chétif, fripé, j'avais le gros ventre du malnutri. À la libération du camp, je ne pesais plus que 2,5 kg ».

Mais un beau matin le grand jour arrive : le 30 avril 1945, des soldats soviétiques de l'Armée rouge désentravent les malheureux de Ravensbrück. 

Du moins celles et ceux qui restent, la peau sur les os, étonnés d'être toujours là. Hélène et son petit arrivent en France le 6 juin 1945. Jean-Claude est resté maigrichon bien longtemps. 

Il a décroché son certif. A fini par monter en graine. A travaillé comme surveillant dans un centre de rééducation professionnelle de l'Office national des anciens combattants. Ancien combattant, il l'est à sa manière. Dans son portefeuille dort une carte de« déporté politique » qu'il exhibe fièrement.

Maintenant, pour le temps qu'il lui reste, il témoigne de sa vie qui est comme un roman.

Sa mère est sortie de la vie en 1996. Hélène repose dans un cimetière d'Auvergne. Il est revenu plusieurs fois à Ravensbrück où l'armée russe a tout effacé, sauf sa mémoire. La semaine dernière, il était en Bretagne, parlant à des lycéens, racontant son aventure, sans états d'âme et sans haine. 
La haine, il l'a traversée à l'âge des berceuses. Il en a fini avec ça.

Quand on lui fait remarquer qu'il porte les mêmes initiales qu'un autre enfant né en d'autres temps dans d'autres conditions spartiates, « JC » en sourit. Il n'est pas né entre le boeuf et l'âne gris comme l'illustre petit de Bethléem mais entre les nerfs de boeuf et l'ordre vert de gris, à Ravensbrück. Doux Jésus...
François SIMON.





Photo David Adémas
Jean-Claude Passerat montre sa carte de "déporté politique". 
A droite, une photo de lui, bébé, porté par sa mère au camp de Ravensbrück, peu après la libération. 




(suite du témoignage de MJ Chombart de Loewe)

Nous avons aussi rencontré et travaillé avec un médecin Adelaïde Hautval, qui avait aidé des jeunes filles tziganes à Auschwitz, et avait été arrêtée par les SS pour ces actes de solidarité. Elle a été transférée à Ravensbrück.

Pour le Dr. Adélaïde Hautval, fille d'une pasteur alsacien, ce qu'elle appelait les " valeurs premières " devaient demeurer, quelles que soient les circonstances. 

Elle eut à les défendre au péril de sa vie lorsqu'elle fut déportée à Auschwitz en Janvier 1943, avec deux cent cinquante francaises, arrêtées dans la Résistance. 

Affectée comme médecin au Block des expériences médicales SS. Mais quand elle reçut l'ordre de prêter la main aux actes criminels, elle refusa. 
Elle s'était préparée à cet éventuel refus et à la mort qui s'ensuivrait. 


Elle fut sauvée de l'exécution par une détenue politique allemande, chef de l'infirmerie. 

En 1946, elle jeta sur le papier plusieurs épisodes de ce qu'elle avait vécu, mêlés de courtes réflexions sur les drames profonds qui se posaient aux déportés pour maintenir le cap de " l'inviolabilité et de la primauté de la personne humaine ".

Elle ne toucha plus à ses notes pendant une bonne quarantaine d'années. 
Mais comme elle voyait la violence se réinstaller dans le monde, l'angoisse la poussa à trier ses papiers et à en dactylographier l'essentiel peu avant sa mort. Elle confia son manuscrit à ses camarades de camp, qui, grâce au Dr. Claire Ambroselli de l'INSERM ( Institut national de la santé et de la recherche médicale ), purent les faire  étudier une première fois aux Editions Actes Sud en 1991.




David PERLMUTTER est un autre enfant sauvé par l'incroyable organisation de résistance formée au camp de Buchenwald.


Nous l'avons rencontré à la Mairie de Paris. 



 « J’étais dans un camp où je devais apporter de l’eau aux déportés qui travaillaient dans une soufflerie de verre. Il m’arrivait de m’endormir sur des palettes en bois. On me réveillait avec un seau d’eau glacée. 
Avec l’avancée des troupes soviétiques en janvier 1945, je suis arrivé à Buchenwald. On m’a mis dans une sorte d’enclos, trempé dans du désinfectant, puis les douches, on m’a donné des vêtements, et direction le camp.
Quand je suis arrivé il y avait des Juifs et des tziganes.
Je suis resté une semaine avec mon père. 


Les prisonniers politiques avaient pris l’ascendant dans le camp, et ils ont décidé de nous faire sortir du petit camp,


(En décembre 1944, les SS font construire 17 baraques dans le Petit camp et font enlever les tentes. De 1 800 à 1 900 prisonniers vivent dans 500 mètres carrés. En janvier 1945, 6 000 prisonniers se trouvent dans le Petit camp. La faim, la saleté, des combats désespérés pour survivre, des maladies contagieuses règnent sur cet endroit. Une mortalité massive en est la conséquence. 5 200 personnes environ meurent en cent jours.)

qui était une sorte de mouroir. La résistance interne nous en a fait sortir et on nous a mis dans le grand camp, au block 8.
J’ai menti sur mon âge. Mon père m’a ordonné de dire que j’avais treize ans, alors que je n’avais que sept ans et demi. 
J’ai eu le matricule n°116730, né le 8 avril 1932. En réalité, je suis né en 1937.

J’allais voir mon père de temps en temps. Il m’avait confié à un garçon de 13/14 ans qui s’est occupé de moi. 
J’allais mendier chez les prisonniers Allemands qui recevaient des colis.
J’ai été voir à l’infirmerie, et quelqu’un m’a donné une grande assiette avec une sorte de porridge. C’était mon anniversaire. J’ai mangé un petit peu et j’en ai gardé. 
Est arrivé le 11 avril 1945 : c’était la Libération. Je ne savais pas ce que ça voulait dire. J’ai juste demandé : « on va avoir à manger ? ». Et comme on m’a répondu : « oui », j’ai avalé tout le reste de mon porridge. 

J’étais dans le block 8 avec d’autres. Il  y avait la liste des noms, dont celui de mon père. Moi, je n’y figure pas, car c’était un signe de résistance pour me protéger, me cacher. 

Les enfants de Buchenwald

Neuf cents enfants sortirent vivants du camp de Buchenwald le 11 avril 1945. Tout fut mis en oeuvre pour soustraire les enfants à brutalité, la cruauté et la pédérastie des certains SS et criminels du camps, les nourrir, et même les instruire. 
Il fut créé une "école clandestine" à Buchenwald !

Les « triangles rouges » qui appartiennent à la résistance politique, surtout communiste, du camp comme Walter Bartel, Wilhelm Hammann, Franz Leitner, Robert Siewert, Willi Bleicher, Vladimir Kholoptchev, Iakov Goftman, Piotr Avdeïenko et Gustav Schiller, ont supplanté les « triangles verts » et s’efforcent de protéger les enfants et les adolescents. Ils les rassemblent dans la baraque 8 et dans la 66 du petit camp, ou les dispersent dans les baraques des « politiques ». À la libération un millier d'enfants est encore en vie.


le Comité interne clandestin a conçu un programme de sauvetage, pour ces enfants voués à l'extermination. 
Dorénavant tous les enfants de moins de seize ans arrivant par les transports successifs sont isolés et répartis par petits groupes dans différents blocks sous la vigilance permanente du comité.

Le danger qui guettait ces jeunes était de différentes natures. 
Entre autres la lutte contre la pédophilie. Le milieu concentrationnaire avait engendré une tendance très très minoritaire mais effective pour l'homosexualité. Chaque chef de Block, à qui les enfants étaient confiés, veillait personnellement à leur protection.

Le camp était un vivier d'esclaves où on puisait une main d'oeuvre quasiment gratuite pour l'industrie de guerre. 
Et ces petits bras affaiblis et inutiles, nourris à perte, constituaient un défi aux yeux des seigneurs du Reich. Il fallait donc soustraire les enfants à leur vue, en employant des ruses, en prenant des risques pour les personnes impliquées. 

Parfois des interventions très intenses sont nécessaires pour empêcher un enfant de partir pour Auschwitz où une mort certaine l'attend.

Par suite de l'avance de l'Armée Rouge, de nombreux camps de concentration et leurs Kommandos à l'est de Berlin sont évacués vers le centre de l'Allemagne. 

Pendant l'hiver 1944/1945, de nombreux convois arrivent à Buchenwald. Tous ces prisonniers avant d'être embarqués sur les trains ont accompli des marches forcées à pied, dans la neige et le froid, parmi eux de nombreux enfants.

Le camp est surchargé en quelques mois, la population a doublé en nombre. 
Pour faire face, devant une telle situation, le block 66 dans le petit camp fut réservé uniquement pour les moins de seize ans. Les très jeunes sont toujours dissimulés à travers le camps dans les blocks "Politique". 




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 Dans son livre "Je me suis évadé d'Auschwitz", Rudolf Verba raconte l'aide fournie par un SS du camp d'Auschwitz aux déportés. 


Fero Langer, slovaque, très fort et charismatique -un résistant- voulait s'évader. 
Il ne pensait pas à sa propre liberté, il voulait raconter la vérité au monde et voulait le faire en plusieurs langues, et donc amener avec lui d'autres détenus : Un Hollandais, un Français, un Polonais et un Grec. 


Il avait rencontré un SS. 


Un autre de ses camarades Fred Wetzler, s'était mis bien avec tout le monde dans le camp. Grâce à sa popularité, il avait des contacts très variés, utiles et inspirés par la sympathie, et prêt pour la corruption. 


Un jour, Rudolf le trouve en train de partager un plat avec un SS nommé Pesfek, un Unterscharfüreh d'environ 26 ans. Le SS voulait aider Fred à s'évader en lui fournissant un uniforme d'officier SS, et passer avec lui le portal, puis lui faire prendre le train pour Prague. Pourquoi voulait-il faire cela ?


"Parce que j'ai toutes ces tueries en horreur, je ne peux plus supporter de voir les enfants et les femmes assassinés. Je veux faire quelque chose, n'importe qu'oi, pour m'arracher de cette puanteur qui me poursuit, pour me sentir un peu plus propre."