S’ÉVADER


Les détenus confrontés à la souffrance dans les camps envisagent forcément la possibilité d’une évasion. 


S’évader est une décision individuelle, mais sa réalisation demande souvent des complicités. 
Il faut en effet se procurer des vêtements civils, si possible des faux papiers pour espérer se fondre dans la population et échapper aux contrôles, avoir des vivres avec soi pour ne pas avoir besoin de s’en procurer après et s’exposer inutilement : il faut donc se débrouiller pour obtenir ce qui est nécessaire, c’est-à-dire « organiser » sans attirer l’œil des nazis et des mouchards.

Les mesures prises par les SS pour empêcher toute tentative de fuite, dissuadent la plupart des candidats à l’évasion. 
Les clôtures de fil de fer barbelé électrifiées, souvent doublées par une zone minée, et la surveillance des gardiens depuis les miradors sont un premier obstacle à franchir.

Généralement, avoir une connaissance de la région où se trouve le camp augmente les chantes d’échapper à la traque au fugitif qui suit la découverte d’une évasion. 


Les évasions réussies concernent donc d’avantage les détenus engagés avant leur détention dans des organisations de résistance et ceux, originaires du pays où se trouve le camp. 


Cependant, en Allemagne et en Autriche, les évadés ont peu de chance de trouver de l’aide, même s’ils parlent l’allemand : la population se méfie de ces individus présentés comme des criminels dangereux pour le nazisme et contribue à leur capture. 
En revanche, les actes de compassion et de solidarité sont plus fréquents dans les territoires annexés par l’Allemagne nazie.

Les évadés repris sont ramenés au camp, et dans presque tous les cas, sont exécutés par pendaison après avoir subi les pires tortures pour leur faire avouer les conditions de leur évasion et les éventuelles complicités à l’intérieur du camp. Ce spectacle est particulièrement éprouvant pour les détenus qui doivent y assister et qui voient se dissiper un peu plus l’espoir de s’en sortir vivant.

Malgré tout, des détenus tentent de s’évader et y parviennent. 
Certaines évasions sont spectaculaires : 

le 4 août 1942, cinq détenus du Struthof, réussissent à s’emparer d’uniformes SS et d’un véhicule dans lequel ils passent le point de contrôle menant au camp. 
Seul l’un d’eux, est capturé et ramené au camp, avant d’être torturé et exécuté sur la place d’appel du camp, devant les autres déportés. 

Ou lors de la nuit du 3 au 4 novembre 1943, plus de 400 officiers soviétiques parmi les 1000 enfermés du Block 20 du camp de Mauthausen, éliminent le chef du Block et ses assistants, organisent une diversion, attaquent les SS des miradors et franchissent la clôture électrifiée. 
Les détenus du Block 20, résolus à rester, sont massacrés. Quant aux évadés, certains meurent d’épuisement, ou sont capturés et massacrés. Seuls une dizaine retrouvent la liberté.


Jean-Louis STEINBERG raconte que les évasions n'étaient possibles que si l'on maîtrisait le polonais. 
Dans ce témoignage, il explique aussi sa force morale, son tempérament optimiste et sa formation politique, qui lui ont permis de tenir : 






EXTRAITS DU LIVRE DE RUDOLF VRBA, JE ME SUIS EVADE D'AUSCHWITZ


Rudolf Vrba



-S’évader à tout prix

   C’était un camp organisé dont il était aussi difficile de s’évader que d’Auschwitz. 

Pourtant Dmitri Volkov avait réussi cet exploit. 
De plus, il avait parcouru des milliers de kilomètres en territoire ennemi avant de pénétrer en Russie et d’atteindre les rives du Dnierp près de Kiev, toujours occupée par les Allemands.

   Il savait qu’il ne pouvait emprunter le pont qui enjambait le fleuve, celui-ci étant soumis à d’incessantes patrouilles. Il n’y avait pas d’autre solution que de nager en pleine nuit jusqu'à la rive lointaine qu’il ne pouvait même pas voir. Il accomplit ce tour de force et dans sa joie exubérante, il commit sa première et dernière faute. Il se sentait si léger d’être à nouveau sur la terre ferme qu’il se mit à gambader dans les buissons comme une gazelle et se trouva nez à nez avec le canon d’un revolver allemand.

-          C’était la faute à pas de chance, car le pauvre type n’était même pas de service. Il était dans les buissons avec une belle et il l’a pris pour un voyageur ! 

Rudolf Vrba reçoit des conseils à suivre pour tenter une évasion : 

« Et maintenant, je vais te donner quelques conseils car je sais que tu n’es pas du genre à aller finir aux chambres à gaz. Tu es comme moi. Tu t’évaderas ou tu mourras en combattant.

-Ne rien dévoiler

   « Leçon n°1 : Ne fais confiance à personne. 
Par exemple ne me dis pas quand ni comment tu vas t’évader. J’ai aussi mes plans mais je ne t’en dirai rien. 
Dès que l’on signalera ton évasion, ils viendront me trouver, ils t’ont vu me donner du pain. 
Et qui sait, sous la torture je pourrais parler. Je ne le crois pas mais c’est une possibilité avec laquelle il faut compter, personne ne sait exactement ce qu’il est capable de supporter. 

-Ne pas se sous-estimer

   « Leçon n°2 : N’aie pas peur des Allemands. 
Il y en a beaucoup mais chacun pris à part est tout petit. 
Ici à Auschwitz, ils essaient de te briser, corps et âme. 
Ils essaient de te convaincre qu’ils sont des surhommes invincibles, mais je sais moi qu’ils peuvent mourir aussi vite que n’importe qui, j’en ai tué suffisamment en mon temps pour le savoir. 

-Se cacher

   « Leçon°3  : Une fois dehors, ne fais pas confiance à tes jambes, une balle courra toujours plus vite que toi. 
Ne leur donne pas l’occasion de tirer. Sois invisible. 
Ne te déplace jamais le jour, c’est le moment de te reposer. 
Et assure-toi d’avoir trouvé un endroit avant qu’il ne fasse jour, pour dormir à l’abri des regards.

-Se faire discret

   « Leçon n°4 : N’emporte pas d’argent. 
Je sais que tu peux en avoir tant que tu veux au Sonderkommando, n’y touche à aucun prix. 
Si tu es affamé, tu seras tenté d’acheter à manger . Si tu n’as pas d’argent tu ne peux pas. 
Vis de l’habitant, vole dans les champs et dans les fermes les plus isolées et évite les gens.

-S’équiper pour survivre

   « Leçon n°5 : Voyage avec trois fois rien. 
Tu auras besoin d’un couteau et d’une lame de rasoir. Le couteau pour chasser ou pour te défendre. 
La lame de rasoir si jamais on est sur le point de te reprendre, ne les laisse pas te prendre vivant.

   « Tu auras besoin d’allumettes pour faire cuire ce que tu auras volé. Tu auras besoin de sel parce qu’avec du sel et des patates tu peux te tenir des mois. 
Tu auras besoin d’une montre pour calculer tes étapes , t’assurer de ne pas être surpris par le lever du jour. Enfin elle peut te servir de boussole. »

   Il m’apprit à le faire. 
En un mot il établit pour moi le manuel du parfait évadé. Il m’expliqua, par exemple, comment je pouvais tromper les chiens policiers en portant sur moi du tabac russe préalablement trempé dans de l’essence et ensuite séché.

   -L’odeur  les chasse. Souviens-toi, uniquement du tabac russe, insista-t-il, ce n’est pas du patriotisme. Je ne sais qu’une chose ça ne marche qu’avec de la « machorka ».

   Il me recommanda de ne jamais porter de viande pendant l’évasion, si je voulais pas attirer les chiens et le dernier conseil qu’il me donna fut sans fut sans doute le plus pertinent.

-Rester sur ses gardes

   -N’oublie jamais inévitablement que le combat ne fait que commencer une fois hors du camp. 
Reste sur tes gardes aussi longtemps que tu te trouves en territoire ennemi. Ne deviens jamais ivre de liberté, comme je l’ai été près de Kiev, on ne sait jamais qui est couché dans les buissons !

   Ce fut une longue instruction étalée sur plusieurs jours et dès qu’elle fut terminée on ne se parla plus du tout, les derniers mots de Dmitri Volkov ayant été :

   -Il serait plus sage de ne plus nous rencontrer, on nous a assez vu discuter ensemble et moi aussi j’ai l’intention de me sauver. Adieu, Rudi, bonne chance. Peut-être qu’on se reverra un jour, ailleurs !

   A ce jour, nous ne nous sommes jamais revus ; j’espère que Dmitri a survécu à Auschwitz. Si jamais il lit ce livre, j’aimerais qu’il m’écrive, j’aimerais tellement le remercier.

-Respirer la vie

   J’avais eu, bien sûr, d’autres instructeurs, mais peu d’entre eux ont survécu. Les erreurs mortelles qu’ils commirent me servirent de leçons. 
Il y eut, par exemple, Fero Langer. Le grand, fort et joyeux Fero avec qui j’avais joué à un curieux jeu de quilles pour du salami à Novaky tout au début du périple qui devait me mener à Auschwitz. (…)

-Garder la foi

   J’acceptais presque comme un axiome que tous les gens du camp puissent mourir mais je croyais dur comme fer que je m’échapperais et je ne me souviens pas d’avoir jamais perdu cette foi, même en voyant différents essais rater et se terminer par une mort humiliante.

-Informer

   Bien avant que l’idée ne m’en soit venue, les membres de la clandestinité s’étaient penchés sur le problème crucial de faire connaître Auschwitz, de révéler ses secrets  et de prévenir les juifs d’Europe de la signification réelle de la déportation. 
Leur but était totalement désintéressé, ils recherchaient seulement le meilleur plan, le meilleur moment, la meilleure personnalité.

-Avoir des amis

   Il était presque impossible de parler évasion avec qui que ce soit. 
Dans les conversations le mot même était évité comme une grossièreté, car les nazis qui n’étaient pas des naïfs avaient leurs mouchards infiltrés partout, rendant tout projet presque irréalisable. 
De ce point de vue j’avais la chance d’avoir un ami, Fred Wetzler de Trnava, en qui je pouvais avoir entière confiance. Il occupait au camp une position particulière. Il était bien avec tout le monde, avec les Allemands, les détenus ordinaires et ceux qui avaient des postes.

   Grâce à sa popularité, il avait des contacts très variés, toujours utiles et inspirés par une sympathie authentique et non par la corruption. 
Beaucoup se confiaient à lui non seulement parce qu’ils l’aimaient bien mais surtout parce qu’ils l’estimaient. 
Sa connaissance du camp était profonde et étendue.

-Risquer la peine de mort

 Deux juifs français , un kapo et son assistant, tentèrent de s’évader et furent repris presque sur-le-champ. 
Ils avaient sur eux une miche de pain et cachés dedans des diamants qui valaient bien dix millions de francs, ils furent aussi envoyés au block 11.

   C’est le Sturmbannführer Schwarzhuber qui fit le discours précédent l’exécution. 
Il nous sermonna pendant quelques minutes sur ce qui nous attendait si nous suivions les traces des six misérables, qui se tenait devant nous, mains liées dans le dos. 
Il nous donna la valeur des diamants volés et avec plaisir évident il annonça : « Avant de mourir sur ces potences, ils vont recevoir cinquante coups de fouet. »
  
   Un SS s’avança, le chat à neuf queue à la main. Un par un les prisonniers se penchèrent sur le chevalet à bastonnades.  Pendant un demi-heure on n’entendit rien que le bruit sourd des lanière sur les chairs.

   Ce n’étaient que les préliminaires, le clou étant la pendaison. Dès que le roulement des grosses caisses se fit entendre, les deux Français montèrent les marches, le bourreau travailla vite. 
Les trappes s’ouvrirent en claquant contre les côtés de l’estrade et les horribles contorsions commencèrent.

   Au bout de quelques minutes, les corps pendaient mollement. Nous attendions qu’ils soient décrochés pour laisser la place aux deux prochaines victimes, nous cuirassant contre ce spectacle auquel jamais nous ne nous étions habitués même après y avoir assisté maintes fois. 




Rudolf Vrba réussit son évasion, après s'être caché pendant plusieurs jours dans une pile de bois. 
Il parvient, avec son camarade Alfred Wetzler jusqu'en Hongrie où il informe de la déportation de centaines de milliers de Juifs Hongrois vers Auschwitz, donc vers la mort. 


Alfred Wetzler




Le risque encouru : la pendaison

"C'est le Sturbannfürer Schwarzhuber qui fit le discours précédant l'exécution. 


Il nous sermonna pendant quelques minutes 
sur ce qui nous attendait si nous suivions les traces des six misérables, qui se tenaient devant nous, mains liées dans le dos. Il nous donna la valeur des diamants volés et avec un plaisir évident il annonça : "Avant de mourir sur ces potences, ils vont recevoir cinquante coups de fouet."


Un SS s'avança, le chat à neuf queues à la main. Un par un les prisonniers se penchèrent sur le chevalet à bastonnade. 
Pendant une demi-heure, on n'entendit rien que le bruit sourd des lanières sur les chairs. 


Ce n'étaient que les préliminaires, le clou étant la pendaison. 


Dès que le roulement des grosses caisses se fit entendre, les deux Français montèrent les marches, le bourreau travailla vite. Les trappes s'ouvrirent en clanquant contre les côtés de l'estrade et les horribles contorsions commencèrent.


Au bout de quelques minutes, les corps pendaient mollement. 


Nous attendions qu'ils soient décrochés pour laisser la place aux deux prochaines victimes, nous cuirassant contre ce spectacle auquel jamais nous ne nous étions habitués même après y avoir assisté maintes fois."