CRÉER DES OEUVRES ARTISTIQUES


Objets présentés au musée de la résistance de Champigny : 



Tissu brodé réalisé par mère Marie au camp de Ravensbrück. 
Au centre, les initiales brodées de son fils, Serge Skobsoff (Youri), un de ses trois enfants déporté et mort au camp de Dora. (sans date, 1944, coll particulière)

Elle meurt en 1945 à Ravensbrück, et c'est Simone Gournay qui récupère ce tissu. 



carnet de poèmes de G. Baudry, fabriqué avec carton et papier dérobés. 
Retranscription de poèmes mémorisés dont ceux de Baudelaire, Musset, Rimbaud, et de textes créés au camp. (Amicale de Ravensbrück)


Carnet de chants d'Yvonne Plasmann (Holleischen) sur un carnet de commandes de l'usine MWH. 
Retranscription de chants populaires, politiques et patriotiques, dont La Marseillaise, l'Hymne à la joie de Beethoven. (Amicale de Ravensbrück).

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Le chant des Marais :

L'un des premiers chants de résistance aux nazis, composé en 1934 par trois antifascistes allemands, d'un camp de l'Emsland situé à Borgermoor, tout d'abord encouragé par les SS comme chant de travail, il fut interdit dès que fut reconnu son caractère subversif.

Le chant, écrit dans le carnet confectionné par Marie-Claude Vaillant-Couturier en camp de concentration (Auschwitz et Ravensbrück), sans date, coll MRN

Loin vers l'infini s'étendent
Les grands prés marécageux.
Pas un seul oiseau ne chante
Seul les arbres secs et creux.

O terre de détresse
Où nous devons sans cesse
Piocher, piocher.

Dans ce camp morne et sauvage
Entouré de murs de fer,
Il nous semble vivre en cage
Au milieu d'un grand désert.
(refrain)

Bruit de chaînes, bruit des armes,
Sentinelles jour et nuit.
Et du sang, des cris, des larmes
La mort pour celui qui fuit.
(refrain)

Mais un jour dans notre vie,
Le printemps refleurira.
Libre enfin, ô ma patrie,
Je dirai : tu es à moi.

O terre d'allégresse
Où nous pouvons sans cesse
Aimer, aimer.




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Lors de notre visite au musée de la résistance nationale de Champigny, nous avons découvert quelques oeuvres artistiques : 




"Solidarité", dessin de Pierre Fertil (coll MRN)
Etudiant, résistant, Pierre Fertil est déporté au camp de Neueungamme (matricule 40322) en 1944. 
En septembre, il est affecté au kommando de Bremen-Blumenthal (900 hommes) où il subit les affres de la déportation. 
A la libération du camp, il a perdu 35 kg. 
Il se remet et poursuit des études de médecine. 

Afin d'exorciser ce qu'il a vécu, il dessine sur des papiers divers et jette ou brûle ses oeuvres. Il est victime d'insomnies et ne parvient pas à vivre avec ses souvenirs qui le hantent. 
Ses amis le persuadent de publier ses oeuvres.

Ce dessin témoigne de la solidarité qui a permis aux déportés de résister à la deshumanisation voulu par les SS. 
Pierre Fertil témoigne de la faculté de l'homme, face à la barbarie, à espérer, à tenir et à résister, même dans les pires conditions. 



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Sculpture en bois (autoportrait) (coll RMN)
"rester digne et fier" de Konstantin Rodzevitch, réalisée après la guerre, en mémoire de sa période de déportation. 

Konstantin Rodzevitch était dans les brigades espagnoles et a intégré la résistance française sous le nom de Louis Cordé. Il est arrêté puis déporté au camp d'Orianenburg-Sachsenhausen.  




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"La Révolte du Sonderkommando", David Olère, huile sur toile. 

Ce tableau montre l'auteur en tant que déporté, identifié grâce à son matricule. Il porte une fourche dans la main gauche, qui lui servait à transporter les corps sortis de la chambre à gaz, et un fusil dans la main droite, allusion à la révolte. 
Un casque allemand et un uniforme de SS gisent sur le sol. 
Derrière l'auteur se trouvent une femme et un enfant, sans doute destinés à être gazés, qui semblent se protéger. Un autre enfant s'accroche à son bras, comme le signe d'un dernier espoir. 
Derrière se profile une baraque du camp et un mirador, puis l'enceinte électrifiée. 
On voit une femme hurler qui se tourne vers les corps gazés et placés dans le krématorium, représenté par les flammes qui jaillissent. 

Le message de ce tableau est de ne pas perdre espoir malgré l'horreur absolue, et vaincre le nazisme das sa forme la plus aboutie. 


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"L'insurrection de Buchenwald" de Boris Taslitzky, huile sur toile, 1959.
Cette peinture montre l'insurrection à laquelle  l'auteur a assisté mais ce n'est pas une représentation de la révolte. 
Certains détails sont d'une grande précision : le déporté au centre porte la tonsure qui était réservée aux détenus en cas d'évasion. 
Un autre porte la veste molletonnée des soldats soviétiques, que certains prisonniers de guerre ont pu conserver.  
Les triangles rouges portent les lettres F (Français), R(Russes) et T(Tchèques), nationalités les plus représentées au camp de Buchenwald. 

L'auteur a voulu représenter l'élan des révoltés. L'union des peuples opprimés, représentés par leurs triangles, doit permettre d'abattre l'ennemi commun : le nazisme.



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"Les rescapés", sculpture de Maurice Cardon, 1891.
En-haut, vue générale du Mémorial de Liberté de Fontenay-sous-Bois.
En-bas, la statue dans la brèche du Mémorial (le moule de la statue est au musée de la Résistance nationale à Champigny-sur-Marne). 

Pour les rescapés des camps, la solidarité a été fondamentale.


Maurice Cardon est né en 1925 à Bachant, dans le Nord. 
C'est en travaillant dans le bâtiment qu'il acquiert son savoir-faire. 
Il est d'abord apprenti couvreur zingueur puis terrassier. 
Etant réfugié dans l'ouest de la France, il est obligé de travailler à l'édification du mur de l'Atlantique. 
Voulant échapper au STO en 1943, il s'engage dans les FTP. 
Après la libération, il devient métallurgiste, chaudronnier, formeur, carrossier et ferronnier jusqu'à sa retraite en 1985. 
Sa passion pour le dessin, la gravure, la peinture et l'usage de ses connaissance métallurgiques lui permettent de sculpter. 



En 1978, il est contacté par les anciens déportés de sa ville pour réaliser un mémorial "à la gloire et au souvenir des disparus, avec le but de rappeler à chaque citoyen que chacun est égal à l'autre sur cette planète... mais qu'il existe des hommes capables d'engendrer les pires horreurs"...



La sculpture de Maurice Cardon évoque ces différents aspects de la solidarité.

La statue représente en effet deux êtres humains, l'un soutenant l'autre, leurs visages, leurs corps unis, révélant la souffrance, la brisure de l'être, l'un abattu, traîné par l'autre, presque un cadavre pour sortir de cet enfer dont le mur symbolisant l'enfermement était brisé par la solidarité de ceux qui s'étaient dressés contre la destruction organisée de l'homme. 

La brèche rouge du mur symbolisant cette libération. 
La sculpture de Maurice Cardon établit une relation entre les vivants et ceux qui ne sont pas revenus, une solidarité de la mémoire, d'où la phase "Passant souviens-toi, ils sont morts pour ta liberté".



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Enfin, voici une sélection de poèmes que nous avons choisi de retranscrire ici : 

A L'AMI QUI AURAIT PU EXISTER


A qui raconter les joies et les peurs,
Parler de mes espoirs et de mes peines, 
Un peu soulager les tourmentes de mon coeur
Qui jour après jour me reprennent ?


Tu n'es que mon rêve, mais toi, mon ami, 
Tu sais mes secrets, mes attentes,
C'est toi qui me parles au milieu de la nuit
Dans mes insomnies épuisantes.


Je parle avec toi seul à seul, et je sais -
Personne ne peut nous entendre.
Derrière le block, le vent souffle, muet,
Et toi, tu ne peux pas me vendre.


Et si je suis triste, c'est que, malgré tout,
Ami, tu n'es rien que mon rêve
Et que je te garde en mon coeur un peu fou
Le temps que les autres se lèvent


ANONYME
écrit dans un camp de concentration le 6 janvier 1945


L'ESPOIR


Tu es venu vers moi
Un soir que ma faim criait 
Par mes yeux égarés
Mes mains tremblantes


Tu es venu vers moi et m'as dit simplement
De ton drôle d'accent
"Camarade".


Puis la nuit longue est venue
Coupée des feux de notre espoir
Et tes yeux m'ont suffi, certains jours,
Tes yeux où je lisais la dure certitude 
De ceux qui veulent la vie.


Maintenant, la lutte nous a scellés
Patiemment nous avons vécu
Patiemment nous avons oeuvré.
Déjà un gazon d'aube
Descelle les ruines.


Pierre-Yves BOULOUGNE 
Poème écrit à Buchenwald




ENVERS ET CONTRE TOUT


Peut-on revenir de l'Enfer?
Quitterons-nous les camps d'Hitler ?
"Mein Kampf" et le "Temps du mépris"
Nous ont tant et tant appris...
Jacques s'est éteint après Roland,
Pierre et François sont des mourants...
Et on se dit : A qui le tour?
Qui pourra éviter le fur ?


Questions atroces et naturelles ?
Qui ailleurs seraient démentielles. 
Questions qui viennent et reviennent
Dans les rencontres quotidiennes.


Mais on garde au coeur l'espérance
De revoir la France, la douce France,
La confiance ne peut s'altérer, 
Nous connaissons l'avance alliée,
Qui effraie tant les nazis.
Et on pense plus fort à Paris.


Serrons les rangs chers camarades !
Nous devons sauver les malades.
Un peu de soupe... Un peu de pain...
Un peu de sucre... Un peu du sien...
Oui ! On peut sortir de l'Enfer !
On peut quitter les camps d'Hitler !
On pourra un jour témoigner,
Personne ne pourra  en douter.


Mais combien serons-nous alors?
Alors qu'on vit avec la mort...
Et cependant on croit toujours
Au merveilleux, à de beaux jours,
On croit ! On croit intensément !
On revivra... On chantera...
On aimera... On clamera...
On dansera... On est sauvé !


La vie, la vie doit l'emporter.
On y croit tant. On croit en elle
On croit que la vie sera belle...
On croit... On rêve et on sourit.


Jean LASTENNET
Poème écrit à Buchenwald