RESTER DIGNE

Résister, dans les camps nazis, c'est simplement refuser de se voir relegué au rang de sous-homme ou de bête, c'est d'avant tout de rester humain ; croire un moment qu'on est encore maître de son destin.

Cette résistance consiste, d'abord, à garder l'estime de soi : 
- c'est se contraindre à se laver quand cela est possible et traquer les poux pour limiter la propagation de la vermine et les risques de maladie. 
- C'est se procurer une ceinture pour tenir le pantalon trop large pour un corps amaigri, afin d'avoir une allure acceptable. 



Elie Buzyn, rencontré le 16 décembre à la mairie de Paris, témoigne : 

Lorsque je suis arrivé au camp de Buchenwald, il y avait un détenu plus faible. Il était dans le même transport que moi. Il était plus petit que moi, et son pantalon deux fois trop large pour lui. 


Moi, j'étais débrouillard. J'ai trouvé une ficelle pour tenir mon pantalon, et je lui ai donné ma ceinture pour que le sien puisse rester en place. C'était important, car à l'appel, si son pantalon était tombé, il aurait pu être tué. 
Il a gardé la ceinture tout le temps, et à la Libération, il s'est même fait photographier avec. 
Nous sommes amis aujourd'hui. Il s'appelle Armand Bulwa.
Il dit que ça lui a sauvé la vie. C'est exagéré, mais c'est ce qu'il pense. 
J'ai voulu plus tard récupérer ma ceinture. Mais il m'a dit : "donner c'est donner !". 
En remerciement, il m'a offert une ceinture de chez Hermès. 

- C'est recoudre les boutons, les coutures déchirées pour avoir moins froid. 

 Couteau et pince à épiler réalisés avec du métal de cerclage, des sparadraps, de la corde, du fil et du carton de récupération. 
Peigne, aumônière en tissu confectionnée à partir d'une tenue du camp (Amicale de Ravensbrück)



Ceinture, étui de brosse à dents réalisé avec du caoutchouc de masque à gaz appartenant à Louise Séville de Mazancourt (matricule 5681 à Hanovre, dépendant du camp de Neuengamme)


- C'est conserver précieusement sa gamelle et sa cuillère pour ne pas être obligé de laper sa soupe ou de manger dans un récipient de hasard. 

- C'est pouvoir s'empêcher de se jeter sur son repas, comme le ferait une bête affamée. 

- C'est ne pas faiblir face aux SS et aux Kapos, se sentir peut-être un esclave devant son maître, mais avec la certitude que celui-ci ne le sera plus à un moment ou à un autre.


Le sentiment d'être un homme et de pouvoir le rester est indispensable à la survie. Il est donc essentiel de conserver des préoccupations d'être humain, à chacun de choisir ce qui lui permet de continuer de survivre :

- Dans l'enfer concentrationnaire, certains déportés perdent la foi, d'autres, plus croyants, trouvent dans la prière un refuge et un réconfort. 
Certains conservent, récupèrent ou fabriquent des objets de culte : il arrive qu'un déporté parvienne à cacher une bible ou à se procurer un châle de prière. Des cérémonies religieuses clandestines sont organisées, dans les camps.





Crucifix sculpté dans le manche d'une brosse à dents au camp de Ravensbrück (Coll MNR don de Nina Baumstein) 








Ainsi Geneviève Mathieu raconte qu'au camp de Ravensbrück, les déportées avaient fabriqué une crèche pour le Noël 1944.










- Discuter avec son voisin de châlit est également une forme de résistance : ne pas le considérer comme un ennemi, tels que le voudraient les SS. 
Aborder des sujets qui ne relèvent pas forcément de la vie au camp. On évoque des sujets de littératude, de poésie, de philosophie, d'histoire, de géographie, de sciences, de politique.


On s'offre des cadeaux : 
Objets exposés au musée de la résistance de Champigny : 



Carte de Noël, réalisée et offerte par Renée Braun à son amie Jacky à Holleischen en 1944, à partir d'un carton de récupération d'emballage de boites de détonateurs pour obus de DCA. (Amicale de Ravensbrück)


Carte d'anniversaire destinée à une déportée espagnole, le 2 décembre 1944. (Amicale de ravensbrück).

Napperons en dentelle réalisé avec des matériaux de récupération. Cadeau offert par une déportée à Simone Gournay au camp de Ravensbrück. (coll particulière).


Mouchoir avec broderies triangle de déportée politique, le nom du camp et le matricule de Germaine Moreau déportée le 16 mars 1944 à Ravensbrück puis à Mauthausen. (amicale de Ravensbrück).

Carte d'anniversaire réalisée clandestinement par des déportés du camp de Buchenwald pour leur camarade Guy Ducoloné. 1945. 





- Certains se consacrent à la musique : des concerts clandestins sont organisés, tandis que d'autres se vouent plutôt pour le dessin : Les SS et les Kapos qui apprennent que tel ou tel détenu a des talents de dessinateur peuvent lui demander de réaliser diverses productions en échange d'avantages.

- L'humour a aussi sa place dans les camps nazis. Certains des dessins réalisés par des déportés en apportent la preuve : les scènes posées sur des feuilles de papier de récupération de moquent de l'accoutrement de certains détenus, pointent l'absurdité de certaines situations et tournent en ridicule l'attitude de certains Kapos. Ces dessins peuvent être produits pour soi-même, mais généralement, sont partagés avec les autres camarades.